Actuellement, près de 50% des adultes jeunes consomment du cannabis. Le cannabis et la marijuna ont été légalisés au Canada. En France, la vente de CBD (Cannabidiol) est autorisée.
La recherche internet la plus souvent associées au mot allaitement est « Cannabis ».
Le cannabis est la drogue illégale la plus souvent consommée durant la grossesse (1). Les taux auto-rapportés de consommation durant la grossesse oscillent entre 2 et 5 %; il s’agit cependant probablement d’une sous-estimation. Dans une étude ayant porté sur les conséquences de l’exposition prénatale au cannabis et à l’alcool sur la réussite scolaire, Goldschmidt et coll. (2) ont examiné la fréquence de l’usage simultané de cannabis et d’alcool durant la grossesse. Dans leur étude, 14 % des femmes ont rapporté une forte consommation de cannabis (c.-à-d. fumaient au moins 1 joint par jour) au premier trimestre de la grossesse, comparativement à 5,3 et 5,0 % respectivement aux deuxième et troisième trimestres de la grossesse. Les femmes qui font usage de cannabis durant la grossesse ont plus tendance à consommer de l’alcool, du tabac et des drogues illégales, ce qui pourrait avoir des effets additifs ou synergiques (1) ; (3). En outre, des études ont montré que les cannabinoïdes traversent facilement le placenta (4) et sont présents dans le lait maternel (5) , ce qui expose le fœtus et le nouveau-né.
Quelques données de pharmacocinétiques sont indispensables afin de mieux appréhender le sujet.
Le passage d’une substance dans le lait est dépendant de différents facteurs : la concentration plasmatique maternelle, poids moléculaire ; liaison aux protéines plasmatiques ; la demi-vie ; la lipophilie.
La concentration plasmatique maternelle : plus une substance est présente en quantité importante dans le sang maternel, plus elle est susceptible de passer dans le lait, en fonction des critères suivants.
Le poids moléculaire : plus une molécule est de petite taille (<700 Daltons), plus elle est susceptible de passer du sang vers le lait.
La liaison aux protéines plasmatique : Plus les molécules sont liées à l'albumine plus elles restent dans le compartiment plasmatique (sang). Moins elles passent dans le lait maternel.
La demi-vie : le temps de demi-vie est le temps nécessaire à ce que la moitié de la quantité de substance présente dans le sang soient évacuée. Il faut donc compter 5 à 7 demi-vies pour considérer que la substance n’est quasi plus présente (97% d’élimination)
La lipophilie : le lait « mature » est un corps gras (lait maternel = du gras sucré ! 7% de lactose ; 4% de graisses ; 1% de protéine en moyenne et plus l’enfant grandit, plus le lait est gras).
Une substance lipophile est une substance qui se mélange bien aux graisses. Donc plus une substance est lipophile, plus elle passe (et reste) dans le lait maternel.
Qu’en est-il du cannabis ou plus précisément de la substance active du cannabis : le THC (tétrahydrocannabinol) ?
- Demi-vie d’élimination comprise dans ces conditions entre 44 et 60 heures (5) : il faut donc compter 7x 60 = 420 heures soit environ 17 jours pour éliminer la dose reçue
- Le THC est une molécule très lipophile(6) : elle passe donc très bien dans le lait maternel et y reste pendant environ 17 jours
- Plus la concentration de THC dans le sang maternel augmente, plus le THC s’accumule dans le lait. En effet, prenons l’exemple d’une mère qui fume un « joint » par jour ; en 24h, elle n’a pas encore éliminé la moitié de la dose initiale reçue puisqu’il faut en moyenne une 50aine d’heure pour éliminer la moitié de cette dose. Ainsi, son taux plasmatique le 2ème jour de consommation sera-t-il plus élevé que le premier ; il en va de même dans le lait. Il y a donc un effet d’accumulation du THC dans le lait maternel ce qui expose l’enfant à des doses hautement toxiques. En cas de consommation régulière, on peut en trouver jusqu’à 8 fois plus que dans le plasma maternel (7).
Certaines études suggèrent qu’il pourrait y avoir un lien en la consommation maternelle de cannabis et les comportements autistiques des enfants(8) ; (9). Aussi, en l’état actuelle des connaissances scientifiques, il semblerait plus prudent d’informer les mères consommatrices de cannabis sur les effets potentiels pour leur enfant et de ne pas recommander l’allaitement à une mère qui poursuivrait sa consommation de cannabis au-delà de l’accouchement ; sachant d’autant plus que le fœtus a déjà été exposé et qu’il pourrait déjà avoir des effets négatifs sur son développement : faible poids de naissance, séquelles neurologiques par exemple (12).
Les effets sur l’enfant se retrouveraient sur le long terme. D’après le CRAT, chez des enfants entre l’âge de 10 et 16 ans dont les mères consommaient du cannabis de manière régulière et importante en cours de grossesse, le score global d’intelligence (QI) semble normal, mais les effets suivants ont été observés : déficits de l’attention, hyperactivité, perturbation de certains tests comportementaux et de certaines fonctions d’exécution (9).
D’ailleurs le CRAT déconseille l’allaitement en cas de consommation régulière de cannabis.
Qu’en est-il du CBD ?
Le CBD est désormais en vente libre. Le CBD (ou Cannabidiol) ingéré par voie oral passe dans l’estomac. Au contact de l’acidité gastrique, le CBD se transforme en THC (13) ; (14). De plus, le CDC et la FDA américains indiquent, le cadre de l’allaitement, que le CBD peut contenir d’autres contaminants (pesticides, métaux lourds, champignons) potentiellement dangereux pour la mère et l’enfant. (15)
Ainsi, bien que légalisée, la consommation de CBD n’est donc pas anodine pour autant, puisqu’au final on se retrouve avec le même THC qui va s’accumuler dans le lait comme lors de la consommation de cannabis ou de marijuna!
En conclusion :
En tant que professionnels de la périnatalité, il semble donc indispensable de s’intéresser à ce sujet d’actualité. Il semble également indispensable que les professionnels de santé osent interroger et parler de l’usage ces substances durant la grossesse et allaitement, sans jugement afin d’informer au mieux les consommatrices sur les effets potentiels sur le fœtus, le nouveau-né ou le nourrisson.
Les auteurs :
Céline DALLA LANA ; sage-femme, consultante en lactation IBCLC, auteur du livre « Les secrets d’un allaitement réussi » Editions Frison Roche ; formatrice Méthode DALLA LANA
Dr Raphaël SERREAU Docteur en médecine (MD); Docteur en science (PhD); Habilité à Diriger des Recherches (HDR).
Azrine Melissa ; sage-femme
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt avec l'industrie pharmaceutique, industrielle ou agro-alimentaire.
Article paru sur le magazine Hotmilk
Bibliographie
1. El Marroun H, Tiemeier H, Jaddoe VWV, Hofman A, Mackenbach JP, Steegers EAP, et al. Demographic, emotional and social determinants of cannabis use in early pregnancy: the Generation R study. Drug Alcohol Depend. 1 déc 2008;98(3):218?26.
2. Goldschmidt L, Richardson GA, Cornelius MD, Day NL. Prenatal marijuana and alcohol exposure and academic achievement at age 10. Neurotoxicol Teratol. 2004;26(4):521?32.
3. Chabarria KC, Racusin DA, Antony KM, Kahr M, Suter MA, Mastrobattista JM, et al. Marijuana use and its effects in pregnancy. Am J Obstet Gynecol. oct 2016;215(4):506.e1-7.
4. Grant KS, Petroff R, Isoherranen N, Stella N, Burbacher TM. Cannabis use during pregnancy: Pharmacokinetics and effects on child development. Pharmacol Ther. févr 2018;182:133?51.
5. Baker T, Datta P, Rewers-Felkins K, Thompson H, Kallem RR, Hale TW. Transfer of Inhaled Cannabis Into Human Breast Milk. Obstet Gynecol. mai 2018;131(5):783?8.
6. Demi-vie [Internet]. [cité 7 juin 2023]. Disponible sur: https://pharmacomedicale.org/pharmacologie/pharmacocinetique/38-parametres-pharmacocinetiques/80-demi-vie
7. Smith-Kielland A, Skuterud B, Mørland J. Urinary excretion of 11-nor-9-carboxy-delta9-tetrahydrocannabinol and cannabinoids in frequent and infrequent drug users. J Anal Toxicol. sept 1999;23(5):323?32.
8. Goullé JP, Guerbet M. Les grands traits de la pharmacocinétique du delta-9- tétrahydrocannabinol (THC)?; les nouveaux cannabinoïdes de synthèse?; le cannabis et la sécurité routière. Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine. mars 2014;198(3):541?57.
9. [cité 7 juin 2023]. Disponible sur: https://lecrat.fr/spip.php?page=article&id_article=143
10. Reece AS, Hulse GK. Effect of Cannabis Legalization on US Autism Incidence and Medium Term Projections. Clin Pediatr [Internet]. 2019 [cité 7 juin 2023];04(02). Disponible sur: https://www.longdom.org/open-access/effect-of-cannabis-legalization-on-us-autism-incidence-and-medium-term-projections-25624.html
11. Schrott R, Acharya K, Itchon-Ramos N, Hawkey AB, Pippen E, Mitchell JT, et al. Cannabis use is associated with potentially heritable widespread changes in autism candidate gene DLGAP2 DNA methylation in sperm. Epigenetics. 1 févr 2020;15(1?2):161?73.
12. Badowski S, Smith G. Usage de cannabis durant la grossesse et le post-partum. Can Fam Physician. févr 2020;66(2):e44?50.
13. Dybowski MP, Dawidowicz AL, Typek R, Rombel M. Conversion of cannabidiol (CBD) to Δ9-tetrahydrocannabinol (Δ9-THC) during protein precipitations prior to plasma samples analysis by chromatography - Troubles with reliable CBD quantitation when acidic precipitation agents are applied. Talanta. 1 déc 2020;220:121390.
14. Jeong M, Lee S, Seo C, Kwon E, Rho S, Cho M, et al. Chemical transformation of cannabidiol into psychotropic cannabinoids under acidic reaction conditions: Identification of transformed products by GC-MS. J Food Drug Anal. 15 mars 2023;31(1):165?76.
15. Commissioner O of the. What You Should Know About Using Cannabis, Including CBD, When Pregnant or Breastfeeding. FDA [Internet]. 9 sept 2020 [cité 8 juin 2023]; Disponible sur: https://www.fda.gov/consumers/consumer-updates/what-you-should-know-about-using-cannabis-including-cbd-when-pregnant-or-breastfeeding